CEMAC : La BEAC doit-elle lancer sa monnaie numérique pour contrer les cryptomonnaies ?

Depuis le 2 mars 2022, une note intitulée “Les monnaies numériques de banque centrale sont-elles une réponse face aux cryptomonnaies ?” parue dans la Lettre de la recherche de la BEAC ( N°11_2ème trimestre 2021) vient replacer au goût du jour les inquiétudes et les appels d’air que les crypto-monnaies imposent dans la landerneau juridique et financier de la sous-région d’Afrique centrale. Rédigée par ELOUNDOU NDEME Jacques, Chef de Service à la Direction des Systèmes et Moyens de Paiement de la BEAC, cette note de recherche relève les gros défis de l’éventuelle monnaie numérique de la BEAC en guise d’alternative aux crypto-monnaies comme LIMO, SIMBCOIN ou encore plus classiquement comme le BITCOIN. 

L’idée sous-jacente est la suivante, la BEAC devrait penser à lancer, comme le Nigéria l’a fait pour le E-NAIRA, une MNBC, c’est-à-dire sa Monnaie Numérique de Banque Centrale pour contrecarrer la montée en puissance des crypto-monnaies. Mais, pour ce faire, elle doit surmonter de multiples barrières liées aux caractéristiques des crypto-monnaies, à la prééminence de la monnaie électronique et à la place de poids des établissements de crédit et les compagnies d’assurance. 

Selon l’analyste, la MNBC est une forme numérique de la monnaie fiduciaire émise, contrôlée et réglementée par une Banque Centrale d’un pays ou d’une zone monétaire. Au 1er décembre 2021, 83 pays s’étaient lancés dans les projets d’émission de MNBC ou déjà, en émettent. Il s’agit là de la dernière innovation en matière financière applaudie par certains, accueillie avec méfiance par les communautés d’utilisateurs des cryptomonnaies et scepticisme par beaucoup de banquiers.

LA JUSTIFICATION D’UNE MNBC DE LA BEAC PAR LA DIFFICLE APPREHENSION DES CRYPTO-MONNAIES

Dans cette note, il ressort que, réglementer les crypto-monnaies est un défi difficultueux car, même lorsque la tâche est confiée aux banques centrales ou aux autorités monétaires, la première réaction est d’en restreindre sinon d’interdire l’usage. Malheureusement, il est difficile d’interdire quelque chose qui est partout et nulle part à la fois. Bien entendu, il est indiqué que, puisque les crypto-monnaies sont des actifs financiers, il revient à la Commission de surveillance du marché d’Afrique centrale (COSUMAF) d’élaborer une réglementation du secteur. Cette tache devient urgente, vu le nombre d’acteurs qui proposent des services de placement sur les marchés de crypto-monnaies en Afrique Centrale, et l’engouement créé auprès des populations. L’idée étant de barrer la voie aux dérapages ayant conduit à la spoliation de nombreuses personnes, faute d’encadrement et de contrôle de ces opérations de placement par les autorités de régulation.

Dans cette note, il ressort en outre que, pour réguler l’usage des cryptomonnaies, il convient d’imposer certaines règles aux entités les plus régulées de l’économie à savoir les entreprises du secteur financier (une mesure inopérante). Ainsi, dans de nombreux pays, il est interdit aux banques et compagnies d’assurances d’investir dans les cryptomonnaies. Par contre, interdire aux banques de faciliter les transactions liées aux cryptomonnaies (comme au Nigeria en 2017) est une disposition qui est restée largement inappliquée. En effet, à moins que le client ne fasse une déclaration volontaire à la banque, ou que celle-ci ne fasse une analyse méticuleuse de tous les KYC de ses clients en rapport à leurs flux financiers, l’activité liée aux cryptomonnaies peut leur être transparente. En outre, la régulation fiscale est aussi montrée du doigt comme une source de difficultés. 

CONTRE LES CRYPTO-MONNAIES, LA MONNAIE NUMERIQUE DE LA BEAC ? 

Une MNBC, indique l’analyste de la BEAC, est un moyen de paiement placé sous la responsabilité directe de la banque centrale et disponible pour tous les ménages et entreprises qui ont ainsi accès à la monnaie électronique directement émise par la banque centrale. Dans cette occurrence, la MNBC peut être transférée ou échangée à l’aide de technologies telles que la blockchain qui permet le stockage des enregistrements de transactions sur un réseau d’ordinateurs.

Les raisons favorables à la mise en place d’une MNBC sont exposées ainsi qu’il suit.  Elle va permettre selon l’auteur de promouvoir et faciliter l’inclusion financière ; des versements directs d’aide sociale aux citoyens ; de faciliter les transferts de fonds de la diaspora en améliorant l’efficacité des paiements transfrontaliers ; réduire le coût de traitement des espèces, l’émission monétaire ; d’améliorer les courroies de transmission de la politique monétaire en ayant l’information en temps réel sur la circulation monétaire ; d’augmenter les recettes et la collecte des impôts et de soutenir un système de paiement résilient (stabilité du système de paiement). En outre, l’introduction de la MNBC permettra les paiements P2P, éliminant les « intermédiaires » ou le recours à des intermédiaires, tels que les institutions financières. Disons-le, ce dernier point ne peut être de nature à plaire aux banques qui portent le système financier communautaire depuis les indépendances. 

En tout état de cause, les MNBC vont emprunter aux crypto-monnaies la technologie Blockchain, mais au lieu de se décentraliser, le système des MNBC sera centralisé et contrôlé par la BEAC.  De fait, les blockchain centralisées sont utilisées pour émettre les monnaies numériques des banques centrales, et de par la nature de l’actif (monnaie) il est important d’avoir une autorité unique (Banque Centrale) qui a le pouvoir de sanctionner, émettre, distribuer ou détruire la monnaie en question, recommande l’auteur. 

LA PLURALITE DES BARRIERES A LA MISE EN PLACE D’UNE MNBC PAR LA BEAC 

Si la BEAC vient à suivre le Nigéria en créant une monnaie numérique, plusieurs risques sont recensés par la note de recherche. Il ressort les points suivants. D’entrée de jeu, l’introduction d’une MNBC peut perturber le système bancaire existant. C’est le risque de désintermédiation. Cela pourrait se produire si les citoyens décident de détenir de la monnaie numérique au lieu de conserver leur monnaie physique sur un compte bancaire.

Au plan opérationnel, les systèmes informatiques sont susceptibles de tomber en panne ou faire l’objet de cyberattaques. Inévitablement, la MNBC amène à une centralisation, une situation qui exacerberait les cyber-vulnérabilités déjà répandues et augmenterait les surfaces et les vecteurs d’attaque, faisant de la Banque Centrale une cible. Ces attaques peuvent compromettre la confiance des utilisateurs ou pire, conduire à la disparition de la monnaie en circulation. Dans le même sens, la note souligne la crise de l’électricité et le manque d’accès généralisé à Internet à travers les pays. 

Le risque que la MNBC soit utilisée pour blanchir de l’argent et financer le terrorisme est présent. Les institutions financières auraient besoin de systèmes solides pour lutter contre ces menaces, soutenus par une infrastructure juridique nationale. Ainsi, il faut concevoir le système conformément aux lignes directrices visant à empêcher le flux et l’utilisation illicites de fonds.

Le problème d’éducation financière est aussi invoqué. Il est également nécessaire d’éduquer les gens (qui savent lire et écrire) sur la MNBC. Les citoyens doivent connaître la différence entre la représentation numérique des dépôts en espèces dans les comptes bancaires ou de Mobile Money et la MNBC dans les portefeuilles numériques. A ce problème s’ajoute la question de l’identification. Les populations défavorisées peuvent rencontrer des problèmes pour accéder à la MNBC ; notamment la difficulté d’obtenir une identité numérique. Mais, l’analyste souligne que la mise en place d’un Fichier Régional des Clients (personnes physiques et morales) et Comptes Bancaires (FRCB) dans le cadre de la mise en place de la Centrale des Incidents de Paiements (CIP) pourrait faciliter l’identification des utilisateurs.

EN GUISE DE CONCLUSION

L’analyse finit par indiquer que dans la CEMAC, les populations utilisent déjà leur téléphone pour effectuer des transactions grâce au Mobile Money et Mobile Banking. De leur point de vue, quelle sera la valeur ajoutée d’une MNBC, qui serait plus risquée, moins pratique ? Les bénéfices attendues (hormis ceux relatifs à la politique monétaire) d’une MNBC listés plus haut sont atteignables avec les instruments de paiement actuels. 

Pour l’auteur, au Nigeria, pour ce qui concerne le e-Naira lancé le 1er octobre 2021, au 30 novembre 2021, diverses sources indiquent qu’environ 500.000 personnes (dans un pays qui compte 160 millions d’adultes) ont téléchargé le portefeuille numérique, soit moins de 1 % de la population adulte du pays. Très loin des 42 % de nigérians qui utilisent des cryptomonnaies, malgré leur interdiction. Diverses enquêtes ont révélé que dans les pays disposant d’un système de paiement en temps réel efficient, les populations ne trouvent pas utile, l’émission d’une monnaie numérique par la Banque Centrale.

Pour finir, la note de conclure que les MNBC ne sont donc pas une alternative aux crypto-actifs parce qu’elles ne découlent pas de la même construction idéologique et qu’elles ne pourront jamais être des outils efficaces de spéculation. Au demeurant, si elles ne réussissent pas à aplanir les contraintes qui leur sont intrinsèques, leur issue de secours ( au risque de devenir des ovnis dans l’univers des crypto-actifs) tiendrait par exemple au fait que les crypto-monnaies privées leur trouvent une utilité comme celle de collatéral des opérations de Finance Décentralisée (DeFi) ou des stablecoins. 

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Synthèse par DMF