Comme institué depuis la ratification par la France des accords de Bretton Woods le 26 décembre 1945, la monnaie ayant cours légal dans les six Etats composant la zone CEMAC est le Franc CFA. Bien que les définitions de ce terme ont changé au fil des années, sa nature de monnaie ayant cours légal ( de manière exclusive) dans l'espace CEMAC ne pas été remise en cause. Cet état de fait a d'ailleurs été renforcée par les dispositions réglementaires encadrant l'UMAC au rang desquelles celles de la Convention du 5 juillet 1996 ( créant l'UMAC et modifiée le 25 juin 2008).
Dans le même temps, en marge des législations, de nombreuses nouvelles monnaies ont continué de fleurir depuis les années 1980 sous le vocable de cryptomonnaie . Cette tendance qui s'inscrit comme une réaction/alternative à la gestion de la monnaie par une banque centrale s'est renforcée en 2008 à la suite de la crise économique de portée mondiale. Si la première cryptomonnaie officielle, bitcoin, a été inventée par SATOSHI NAKAMOTO (dont on ne connait l'identité à ce jour), plusieurs cryptomonnaies ont depuis lors vu le jour. On en dénombre environ 20.000 dont les plus utilisées étant le Bitcoin, Euthereum ou encore USD Coin... Au reste, cette réalité n'est pas restée étrangère à l'espace CEMAC. Les Etats et acteurs économiques ont rapidement fait face à la montée du phénomène depuis 2017 avec de nombreux travers comme les arnaques de MILDA, MEKIT INVEST et surtout LIYEP LIMAL.
CHRONOLOGIE DES REACTIONS DE REGULATEURS FINANCIERS ( COSUMAF, COBAC, AUTORITES MONETAIRES NATIONALES, BEAC)
19 octobre 2020 : La première réaction de l'espace CEMAC a été l'interdiction par un communiqué rendu public par la Commission de Surveillance du Marché Financier (COSUMAF) le 19 octobre 2020. Ainsi, face à l'escroquerie et aux plaintes nombreuses , l'interdiction ainsi prise concernait explicitement 14 entreprises proposant des services et des produits financiers comme le placement sur des crypto-actifs avec des promesses de très hauts rendements.
29 octobre 2020 : La même année, l'autorité monétaire nationale, le ministre des Finances du Cameroun rend public un communiqué portant interdiction des opérations d'appel public à l'épargne par certaines sociétés n'ayant pas au préalable obtenu un agrément. Bien que le communiqué porte des zones d'ombre, une interprétation Lato Sensu a prêté le flanc à une interprétation laissant croire elle aussi à une interdiction des cryptomonnaies.
21 avril 2022 : La République Centrafricaine a procédé à l’adoption du bitcoin comme monnaie officielle (à côté du franc CFA) par la régissant la cryptomonnaie en République centrafricaine. La loi du 22 avril s'engage donc à plusieurs innovations au rang desquelles la définition de la notion même de cryptomonnaie. Son article 4 explique ainsi que la cryptomonnaie va désormais s’entendre en RCA comme ” toute monnaie numérique émise de pair à pair (actif numérique), sans nécessité de banque centrale, reposant sur une chaîne de bloc (Blockchain) et utilisable au moyen d’un réseau informatique décentralisé“. Par ailleurs, cette même disposition apporte une définition à la technologie de la Blockchain et des mineurs.
6 mai 2022 : La Banque centrale estime, avec raison, que la loi de la RCA ébrèche l'ordre juridique de l'UMAC et son bras séculier ( COBAC) prend la Décision COBAC relative à la détention, l'utilisation, l'échange et la conservation des crypto-monnaies par les établissements assujettis. Cette décision vise donc les banques, les établissements financiers, les établissements de microfinance, les établissements de paiement ainsi que les établissements de change manuel.
3 juillet 2022 : Malgré le texte de la COBAC, la RCA adopte le SANGO coin comme monnaie en parallèle avec la vision communautaire. Le président de la République centrafricaine (RCA), lance le Sango Coin, la crypto-monnaie officielle du pays.
21 juillet 2022 : Après l'interdiction liée au secteur bancaire, le secteur de la finance de marché est attendu. C'est ainsi que les ministres de l'UMAC procèdent à l'adoption du règlement N°01/22/CEMAC/UMAC/CM/COSUMAF portant organisation et fonctionnement du marché financier de l'Afrique Centrale.
LES CRYPTOMONNAIES ONT-ELLES ETE CLAIREMENT ADMISES PAR LE DROIT FINANCIER LE 21 JUILLET 2022 ?
Dans le Règlement N°01/22/CEMAC/UMAC/CM/COSUMAF portant organisation et fonctionnement du marché financier de l'Afrique Centrale, on peut lire par l'article 76 que " les dispositions relatives à l'appel public à l'épargne s'appliquent également aux jetons numériques (...)". Ce jeton numérique renvoie à tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférer au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement le propriétaire dudit bien.
- LE JETON NUMRIQUE N'EST PAS (FORCEMENT) UNE CRYPTOMONNAIE : La nature de jeton numérique n'est pas applicable aux natives comme l'Ether ou le bitcoin. Cependant, d'autres cryptomonnaies non natives (donc dérivées) sont assimilables aux actifs numériques et donc aux jetons.
- LES ACTIFS NUMERIQUES ENGLOBENT LES JETONS NUMRIQUES ET DONC PAS (FORCEMENT) LES CRYPTO-MONNAIES : Dans un second temps, le terme "actifs numériques" utilisé à l'article 160 du même Règlement N°01/22/CEMAC/UMAC/CM/COSUMAF laisse penser que la prestation de services sur actifs numériques induit les opérations sur les crypto-monnaies ( pour les acteurs autre que les acteurs bancaires). Or, le législateur CEMAC n'a point précisé le contenu des actifs numériques.
A titre comparé, le législateur français retient que les actifs numériques comprennent :
1° Les jetons mentionnés à l'article L. 552-2, à l'exclusion de ceux remplissant les caractéristiques des instruments financiers mentionnés à l'article L. 211-1 et des bons de caisse mentionnés à l'article L. 223-1 ;
2° Toute représentation numérique d'une valeur qui n'est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n'est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d'une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d'échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement.
Cette dernière acception inclut donc les crypto-monnaies. Cependant, cette précision n'a pas (encore) été retenue par le législateur CEMAC.
En conclusion, on ne peut pas dire que les crypto-monnaies ont été clairement exclues ou admises par la COSUMAF. Il est donc impératif que le Règlement de la COSUMAF et les instructions à venir en précisent les contours pour une synchronisation avec les règles d'interdiction édictées par la COBAC.