CEMAC | CONTENTIEUX BANCAIRE : 04 décisions de la COBAC contre Banque Atlantique annulées par la Cour de justice de la CEMAC

L’Arrêt N°004/2022 du 12 mai 2022 rendu par la Cour de Justice de la CEMAC sur l’Affaire Banque Atlantique du Cameroun (BACM) contre la COBAC s’inscrit  dans la jurisprudence du contentieux de la régulation bancaire en Afrique centrale. Comprendre !

Les faits

Le 26 mars 2021, le Secrétaire général de la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC) a diligenté une mission de contrôle auprès de la Banque Atlantique du Cameroun (BACM). Ce contrôle sur place portait sur la gouvernance, la rentabilité, le système d’information, la comptabilité, les engagements, la réglementation sur le blanchissement des capitaux et le financement du terrorisme et la mise en place de la réglementation des changes.

Apres l’examen du rapport provisoire de la mission de contrôle, la COBAC au cours d’une session extraordinaire du 06 août 2021 a décidé d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre de la BACM et de ses dirigeants pour violation de la réglementation bancaire. Après notification et audition du PCA, du Directeur Général et du Directeur Général Adjoint de la BACM, la COBAC prit les décisions suivantes à l’encontre des mises en cause :

  • COBAC D-2021/211 portant blâme à l’encontre de la BACM ;
  • COBAC D-2021/212 portant démission d’office du PCA de la BACM Monsieur Léon KOFFI KONAN et l’ensemble des membres du Conseil d’administration ;
  • COBAC D-2021/213 portant blâme à l’encore du Directeur Général de la BACM Monsieur Éric Valery ZOA.
  • COBAC D-2021/223 portant blâme à l’encontre du Directeur Général Adjoint Monsieur SAYOUBA OUEDRAOGO.


Ces décisions ont été contestées par la BACM. La banque a dans un premier temps ouvert une procédure de contestation auprès de la COBAC en introduisant un recours gracieux préalable pour le réexamen de sa cause. Ce recours n’ayant pas retenu l’attention de la COBAC, la BACM a saisi la Cour de Justice de la CEMAC (CJ-CEMAC) pour introduire deux recours : le premier pour demander un sursis à exécution des décisions de la COBAC et le deuxième quelques mois plus tard pour demander une annulation pure et simple des décisions suscitées.

Le premier recours relatif à la demande du sursis à exécution avait été déclaré fondé et recevable et par la même occasion la CJ-CEMAC a rendu une ordonnance le 28 décembre 2021 suspendant l’exécution des sanctions COBAC contre les administrateurs et dirigeants de la BACM. Restait alors le recours en annulation qui  connait ce dénouement de mai 2022 en faveur de la BACM par l’arrêt n°004/2022 de la CJ-CEMAC.

Demande d’annulation des décisions COBAC : Les moyens présentés par la BACM

Dans l’affaire qui l’oppose à la COBAC, la BACM présente onze (11) moyens pour sous-tendre son recours en annulation. Ces moyens se résument en deux grands groupes de griefs, nous avons d’une part les vices de procédures et d’autre part les violations des règlements en vigueur.

Les vices de procédure : Parmi les arguments présentés pour demander l’annulation des décisions COBAC par la BACM, on y trouve une bonne partie des griefs liés aux vices de procédure et de forme parmi lesquels :

  • Le non-respect des délais d’ouverture de la procédure disciplinaire tels que mentionnés dans la Charte de conduite des missions de contrôle sur place de la COBAC. En effet, celle-ci a été ouverte avant l’établissement du rapport définitif de la mission de contrôle violant ainsi le principe contradictoire.
  • Non-respect des délais d’audition des administrateurs et dirigeants des établissements de crédit qui selon l’article 11 in fine du réglement COBAC R-2017/01 dispose que le Président de la COBAC statuant en matière disciplinaire adresse une convocation à l’assujetti au moins 15 jours avant la date de l’audition, délai non observé par la COBAC.
  • Non-respect de la procédure de notification des décisions COBAC. Celle-ci doit se faire par lettre recommandée avec accusé de réception ou par lettre au porteur avec décharge. Dans le cas d’espèce la notification s’est faite par simple courrier électronique.
  • Prise hâtive des décisions sans attendre les délais au point où la COBAC sur le grief portant sur réglementation des changes a mentionné que la BACM était redevable auprès de la BEAC d’un montant de 188 milliards FCFA de devises alors qu’il en ressort dans le rapport définitif que ce montant est en réalité de 4.1 milliards de FCFA.
  • La publication des décisions COBAC avec la liste des membres du Conseil d’administration de la BACM cités nommément alors que la COBAC aurait dû se limiter à l’expression membre du Conseil d’administration et ne publier que le dispositif des décisions comme cela est prévu par la réglementation en vigueur.
Les violations de la réglementation

Asymétrie et inégalité des sanctions : Pour les mêmes faits, mêmes griefs et mêmes motivations, la COBAC a pris des sanctions différentes allant de la démission d’office pour le PCA et ses membres à un blâme pour le Directeur Général et le Directeur Général Adjoint.
Violation des modalités de convocation des dirigeants des établissements de crédit par la COBAC: En ce qui concerne les délais de convocation et en ce qui concerne la notification des convocations des dirigeants tel que prescrit par le règlement COBAC R-2017.
Violation de l’article 15 alinéa 2 de l’annexe à la convention du 16 octobre 1990 portant création de la COBAC et du règlement n°02/14/CEMAC/UMAC/COBAC/C relatif au traitement des établissements de crédit en difficulté : Dans le cas d’espèce la COBAC a sanctionné les membres du Conseil d’administration autre que le PCA sans les avoir convoqués, ni les avoir préalablement entendus dans le cadre d’une procédure disciplinaire dûment ouverte à leur égard, ceci constitue un manquement grave aux dispositions des textes susvisés et par conséquent une violation au principe contradictoire et des droits de la défense.
Violation de la réglementation bancaire sur la procédure de l’injonction pourtant ouverte par la COBAC à l’encontre de la BACM, celle-ci sans attendre les effets de cette procédure a pris des sanctions disciplinaires, alors même que la procédure d’injonction neutralise toute possibilité de prononcer une sanction disciplinaire.
Violation du principe du non cumul des peines, car selon la BACM, le PCA étant la plus haute personnalité de la banque, le blâme prononcé contre la BACM était en réalité dirigé contre le PCA et que par la suite le PCA a encore été demis d’office de ses fonctions, que cette démission d’office souffre d’un cumul de peines ;
Mauvaise qualification de l’infraction relatif au blanchissement des capitaux et financement du terrorisme, car la qualification de cette infraction se base uniquement sur la mise en place de la pratique d’apporteurs d’affaires, or, cette pratique querellée n’est pas un élément constitutif de cette infraction dans la réglementation en vigueur.

Position et Décision motivée de la Cour de Justice de la CEMAC

Apres examen de tous les moyens présentés par la partie demanderesse qui avait introduit un recours en annulation des décisions COBAC suscitées, la CJCEMAC a siégé le 12 mai 2022 pour rendre son verdict.

Sur la recevabilité du recours : La CJ-CEMAC a déclaré le recours de la BACM recevable et fondé selon le respect du délai de deux mois après l’ordonnance du sursis à exécution prononcée le 28 décembre 2021 et selon les articles 100 et 101 du règlement de procédure de la Cour, en une phrase la Cour a accepté d’examiner la demande en nullité des décisions COBAC.

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La décision finale de la CJ-CEMAC : Apres examen des moyens de la partie requérant la BACM, la Cour siégeant en dernier ressort a déclaré recevable en la forme la requête en annulation des décisions COBAC susvisées. Par ailleurs, la Cour a jugé que la COBAC a statué ultra petita en se prononçant sur un grief non visé, c’est à dire que la COBAC a statué sur un grief non demandé, que la COBAC a violé le principe contradictoire et celui des droits de la défense, que la violation de la réglementation relative au blanchissement des capitaux et du financement du terrorisme reprochée à la BACM et à ses dirigeants est non établie. En conséquence, la CJ-CEMAC annule les décisions COBAC liées à l’Affaire BACM contre COBAC pour vice de forme, vice de procédure et pour défaut de base légale.
La messe étant définitivement dite sur cette affaire, reste à ce qu’une bonne publicité de cet arrêt soit faite afin que l’image, l’honneur et la réputation de la BACM et de ses dirigeants soient rétablis au sein du système bancaire national, communautaire et international.

Robert Olivier MBOUDOU | DMF