COTE D’IVOIRE : La NSIA Banque devait-elle vraiment être condamnée et saisie ?

L’un des nœuds gordiens de l’affaire NSIA contre succession Siaka  est de savoir si le juge du TPI de Bouaké a permis que des intérêts conventionnels continuent de courir sur un compte courant, en parallèle des dommages-intérêts. Ceci après un jugement définitif ayant permis de réaliser l’immeuble hypothéqué pour garantir le découvert pris par le client. Ce contentieux impliquant l’ex président Houphouët Boigny a débuté vers 1980. Révélé aujourd’hui par le journal Ecofin, l’article a fait réagir la Banque NSIA qui donne sa version des faits…

Les faits : des deux versions (celle d’Ecofin donnée dans un article publié le 6 septembre 2019 et celle de NSIA banque donnée par un communiqué du 24 septembre 2019), il découle les éléments suivants.
Par acte notarié en date des 11 mars et 25 février 1976, le député ivoirien Berte Siaka obtient un découvert en compte courant de 30.000.000 FCFA couvert par une hypothèque conventionnelle prise sur un terrain urbain. Ce découvert est assorti d’un taux d’intérêt conventionnel de 13% l’an, en plus d’une commission de 1/12ème. La banque précise qu’il a été convenu la capitalisation des intérêts et commissions.

Suite à la défaillance du client Berte Siaka, le Tribunal de Première Instance de Bouaké le condamne par Jugement n°3 rendu le 21 janvier 1983, à payer à BIAO CI [cette banque – Banque internationale pour l’Afrique occidentale Côte d’Ivoire – a été rachetée par la NSIA et a donc hérité de ses actifs et passifs] la somme de 43.668.520 F CFA, « avec les intérêts conventionnels à échoir » sur le compte courant [version du communiqué]. Le communiqué de la NSIA banque précise que :

« en exécution des termes dudit jugement, BIAO CI a entrepris 04 ans plus tard, la réalisation de sa garantie hypothécaire, pour obtenir le recouvrement de la somme de 107.108.809 F CFA, représentant sa créance en principal et intérêts conventionnels arrêtés au 30 septembre 1987, déterminée conformément aux termes du Jugement n°3 du 21 janvier 1983 susvisé. Par Jugement n°164 rendu le 29 avril 1988, le Tribunal de Première Instance de Bouaké, a adjugé à la BIAO CI, pour la somme de 51.000.000 F CFA, le bien immobilier, objet de sa garantie hypothécaire. Pour tenir compte du prix d’adjudication, la créance reliquataire s’élevait à 56.108.809 F CFA, outre les intérêts conventionnels à échoir à compter du 1er octobre 1987. »

La présidence de la République de Côte d’Ivoire, [Le président Félix Houphouët-Boigny présenté par le journal comme proche du député débiteur] intervient en mai 1988, pour solder les engagements du débiteur Berte Siaka, à hauteur de 60.000.000 FCFA avec une inclusion des intérêts conventionnels, explique le communiqué.

Quand Berte Siaka décède le 05 mai 1991 et sa succession assigne la BIAO en justice le 18 mars 2013, pour revendiquer le bien immobilier, son déguerpissement des lieux et sa condamnation en paiement de dommages et intérêts.

De la Cour d’Appel de Bouaké à la Cour d’Appel d’Abidjan

Par Jugement Civil n°260 du 30 juillet 2014, la succession a été déboutée de l’ensemble de ses demandes par le Tribunal de Première Instance. Cette décision a été confirmée par un Arrêt Civil n°113 du 24 juin 2015 rendu par la Cour d’Appel de Bouaké.

Le 29 février 2016, BIAO CI est à nouveau assigner par la succession, à l’effet d’obtenir une mesure d’expertise comptable aux fins de faire les comptes entre les parties, la rétractation du jugement d’adjudication, la restitution du titre foncier donné en garantie, et enfin la condamnation à lui reverser la somme de 47.800.000 F CFA à titre de loyers.

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Par Jugement Civil n°125 du 13 juillet 2016, la succession est déclarée irrecevable en sa demande de rétractation du jugement d’adjudication, et de toutes ses autres réclamations. Cette décision est confirmée en appel, par un Arrêt Civil n°34 rendu le 12 juillet 2017 par la Cour d’Appel de Bouaké.

La succession va attraire la Banque le 13 décembre 2017 par devant le Tribunal de Commerce d’Abidjan, pour obtenir une condamnation à lui payer la somme de 43.137.390 F CFA au titre de la répétition d’indu, et celle de 84.398.656 F CFA au titre des intérêts de droit ayant couru sur cet indu.

Le jugement de 1983 a-t-il cumulé intérêts judiciaires et conventionnels ?

Selon la Banque : « Le montant de sa réclamation provient d’une dénaturation des termes du jugement de condamnation prononcé le 23 janvier 1983 par le Tribunal de Première Instance de Bouaké, à l’encontre de son auteur. En effet, revenant sur les dispositions de cette décision passée en force de chose jugée depuis 34 ans, pour n’avoir fait l’objet d’aucune voie de recours par Siaka Berte de son vivant, ses héritiers prétendent que nous aurions indument perçu des intérêts conventionnels alors que la condamnation était assortie d’intérêts de droit.

Or, la simple lecture dudit Jugement exécuté permet de constater que la condamnation en paiement du principal de 43.668.520 F CFA était effectivement assortie d’intérêts conventionnels, dont le taux doit être déterminé, au regard de la convention de banque conclue entre les parties. Aussi, le Tribunal de Commerce d’Abidjan, par Jugement RG n°4481/2017 du 09 février 2018, a déclaré ces demandes mal fondées. C’est donc contre toute attente, que la Cour d’Appel de Commerce d’Abidjan, par Arrêt RG n°140/2019 du 23 mai 2019, a infirmé cette décision, et statuant à nouveau, a condamné NSIA Banque CI à payer aux Ayants droit de Feu Siaka Berte, les sommes réclamées ».

Contre cette dernière décision explique avoir formé un recours en cassation le 23 juillet 2019 et obtenu par ordonnance de la présidente de la Cour de Cassation de Côte d’Ivoire, dès le 25 juillet 2019, la suspension de son exécution. Elle explique en outre que : « contre cette décision de suspension, la succession a multiplié les procédures de saisies sur ses avoirs et que cela l’a contraint à initier, devant le Tribunal de Commerce d’Abidjan, diverses procédures en mainlevée, qui pour la première a d’ores et déjà abouti favorablement, les autres, dont la saisie sur ses actions, étant en cours d’instance. »

Selon les informations données par Ecofin :

« Dans le cadre d’une procédure judiciaire qui l’oppose aux survivants d’un client dont elle a hérité à la suite du rachat de la BIAO Côte d’Ivoire, 609 000 actions NSIA Banque Bénin appartenant à NSIA Banque Côte d’Ivoire, et représentant une valeur totale de 6 milliards de francs CFA (9,2 millions d’euros), ont été saisies, pour l’obtention du paiement d’un montant principal de 129 268 132 francs CFA (197 067 euros), sans préjudice des intérêts de droit et des frais de procédure, a-t-on appris de sources proches de cette affaire. »

Il est également précisé que : « Le remboursement du crédit n’ayant pas été effectué, la BIAO Côte d’Ivoire avait saisi le Tribunal de première instance de Bouaké et obtenu, le 21 janvier 1983, un jugement condamnant Monsieur Siaka Berté à lui payer la somme de 43,6 millions francs CFA. Mais pour une raison qu’on ignore, le compte courant n’avait pas été clôturé par les parties, et même si le Jugement du tribunal avait figé à 43,6 millions FCFA le montant de la créance à rembourser à la BIAO Côte d’Ivoire, le principe de capitalisation semblait se poursuivre. »

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De plus : « les juges devaient répondre à plusieurs [autres] questions, dont celle de savoir si l’argent payé par le Trésor pouvait être réclamé par des personnes dont le parent était bénéficiaire du paiement. Les demandeurs au procès semblent avoir démontré avec succès que ce paiement avait été fait par le Service financier de la Présidence pour donner suite à une intention libérale de feu le président Houphouët-Boigny, de sorte qu’à défaut d’avoir libéré Siaka Berté de sa dette à l’égard de la BIAO Côte d’Ivoire, les sommes indûment payées doivent lui revenir, à travers eux, ses ayants droit. », explique le journal financier.

Willy ZOGO