[TRIBUNE] OHADA : Société par actions simplifiées (SAS) et Start’up : une compatibilité existentielle?

A l’ère de la digitalisation et de la dématérialisation économiques, la course vers l’innovation apparaît de plus en plus comme un enjeu substantiel de croissance des entreprises. C’est dans ce contexte qu’il faut situer la vulgarisation du modèle d’entreprise connu sous l’appellation de Startup. Chroniqueur et juriste d’affaires, Boris Minlo Enguele pose un regard analytique sur le rapport entre la SAS et la formule entrepreneuriale connue sous la dénomination Startup. Comprendre…

Qu’est ce qu’une Startup ?

Selon Steve Blank, l’un des parrains de la Silicon Valley, la startup peut être définie comme une organisation temporaire à la recherche d’un business model industrialisable et permettant une croissance exponentielle.

De cette définition il ressort 3 caractéristiques essentielles de la Startup : un caractère temporaire qui traduit le ressort intermédiaire de ce modèle d’entreprise, c’est à dire que la startup n’a pas vocation à le demeurer toute sa vie et il lui faudra un jour se stabiliser autour d’un modèle plus structuré.

En outre, il y a la recherche d’un business model industrialisable, ce qui renvoie à la forte propension d’innovation qu’induit ce modèle d’entreprise. Il faut même reconnaître que le socle stratégique d’une startup s’appuie sur
l’innovation. Le plus intéressant est donc de convertir le produit innovant en produit industrialisable et commercialisable à grande échelle.

Enfin, l’une des caractéristiques primordiales de la startup est nécessairement sa scalabilité (extensibilité) en vue de garantir une croissance exponentielle dans ses premières heures.

Quels sont les besoins spécifiques des Startups ?

Au regard de ce qui précède, il y’a lieu de se demander si les systèmes de financement traditionnels sont à même de répondre aux besoins spécifiques des startups ? En effet, le financement bancaire et même celui issu de la microfinance, ne sont pas adaptés aux startups à fort potentiel de croissance.

Tout d’abord au plan conceptuel, il s’agit d’un financement rigide au regard des taux d’intérêts pratiqués, des garanties généralement requises et de l’exigence de fonds propres pour les porteurs de projets pour ne citer que cela. Ensuite au plan opérationnel, les startups à fort potentiel de croissance sont paradoxalement des entreprises mourantes ou mortes après 3 à 5 ans d’activité.

La raison fondamentale est qu’il s’agit d’entreprises qui se situent sur une trajectoire d’innovation sauf qu’après 5 ans d’activité, leurs produits jadis innovants n’ont quasiment plus d’attraits sur le marché. Il y’a donc un risque énorme de crédit que le système bancaire traditionnel ne peut pas supporter eux égards aux normes et ratios prudentiels imposés par les différents régulateurs.

Aussi, les critères d’éligibilité et les exigences de transparence des marchés financiers semblent exclure la Startup du recours à ce cadre de financement. C’est certainement la raison pour laquelle les Stratups sont de plus en plus tournées vers des solutions alternatives à l’instar du private equity ou encore des business angels sous forme de Crowdfunding.

A côté du financement, un problème de pouvoir de contrôle peut se poser en ceci que les startupeurs, porteurs de projets, dans leur quête effrénée de financements, doivent souvent faire face aux dérives de l’investissement en capital.

De ce fait, une dialectique structurelle peut s’entrevoir entre la volonté de contrôler le business portée par les startupeurs et la volonté de rentabiliser à outrance, portée par les investisseurs en capital.

A l’aune de la réforme du Droit Ohada des Sociétés commerciales, le législateur communautaire a introduit une forme sociale innovante : la société par actions simplifiées. A la lecture de l’exposé des motifs, il ressort la volonté de promouvoir l’entrepreneuriat dans les secteurs dépourvus d’une réglementation spécifiques, notamment celui de l’économie numérique et faciliter ainsi la mobilisation des capitaux en dehors des voies classiques de financement.

La SAS sous l’angle de l’ingénierie sociétaire

Ce qu’il faut savoir c’est que la SAS apparaît comme une forme hybride de société commerciale se situant aux confluents des sociétés de personnes notamment la SARL et de la SA, société de capitaux par excellence. De ce fait, certains auteurs ont pu conclure à une situation de contractualisation du Droit des Sociétés commerciales en ceci que, les actionnaires
de la SAS ont désormais le choix dans le montage du contrat de société, de faire primer soit l’intuitu personae au alors la nécessité de mobiliser les capitaux.

Si la SAS est également une société dans laquelle la responsabilité des apporteurs vis-à-vis des dettes sociales est limitée à concurrence de leurs apports respectifs, elle est rangée principalement dans le registre des sociétés de capitaux à côté de la SA.

La SAS offre aux actionnaires une très grande liberté dans la modélisation de son organisation et de son fonctionnement. Elle échappe aux contraintes légales de la SA en terme d’administration et peut même être constituée avec un seul actionnaire.

La SAS : un modèle social adapté au développement des Startups


Pour cerner la compatibilité existentielle entre la SAS et la Startup, il convient de présenter les particularismes de cette forme sociale à même de répondre aux problématiques centrales d’une Startup relativement aux besoins de financement et au pouvoir de contrôle.

  • La SAS reconnue dans le principe comme étant une société de capitaux, a la faculté d’émettre des actions inaliénables résultant d’apport en industrie (à charge pour les statuts de déterminer les modalités de souscription et de répartition). Cela permet dans
    le contexte d’une startup, d’intégrer dans la structure de l’actionnariat, des actionnaires ingénieux et développeurs de solutions innovantes mais en déficit de fonds propres pour acquérir des titres sociaux au moment de la constitution de la société. (V. art 853-5 al 2 de l’AUSCGIE).
  • Le contrat de société d’une SAS est librement modélisable sous réserve des dispositions impératives. A ce titre, les statuts peuvent clairement prévoir une organisation délibérante ou exécutive différente et plus inclusive par rapport à ce qui est perçu dans les formes sociales traditionnelles (mise en place d’un comité de surveillance ou d’un comité de direction par exemple). Les statuts peuvent aussi déterminer les conditions et les modalités de prise des décisions collectives sous réserve du respect des prescriptions légales impératives. (V. art 853-1 ; 853-7 et 853-11 de l’AUSGIE).
  • La SAS peut être constituée à capital variable. En effet, le principe de la variabilité du capital social pose que les processus d’augmentation ou de réduction du capital peuvent se faire sans formalisme « excessif » (enregistrement sur minutes du PV d’AGE, établissement notarié de l’acte de modification des statuts et le cas échéant de la DNSV, enregistrement au greffe, publication dans un journal d’annonces légales…). Aussi, les statuts peuvent librement organiser les modalités de souscription, de libération et de reprise des apports ; c’est à dire clairement assouplir le système de modification du capital ce qui induit que la modification des statuts sera simplement enregistrée dans les livres de la société. Cette solution est heureuse dans un contexte de startup pour permettre l’ouverture du capital et l’intégration de nouveaux actionnaires à tout moment et sans contraintes particulières sous réserve du respect des seuils planché et plafond (V. articles 269-1 et suiv de l’AUSCGIE).
  • Dans la SAS il y’a possibilité d’exclusion des actionnaires ou de cession forcée des titres sociaux (V. art 269-6 al 2 et art 853-19 ). Ces solutions paraissent rationnelles et peuvent permettre aux porteurs de projets initiaux, de maîtriser le cap (en excluant un actionnaire devenu un concurrent par exemple) ou de recouvrer le contrôle sur la société (en reprenant les titres d’un actionnaire dont le séjour dans l’actionnariat est arrivé à terme conformément aux stipulations des statuts).
  • Si la SAS n’est pas autorisée à faire appel public à l’épargne sur un marché financier pour recourir à un financement substantiel et durable, elle peut toutefois émettre des valeurs mobilières composées ou des actions de préférence. Au vu de la dialectique évidente observable lors d’une opération de private equity, l’émission des valeurs mobilières composées ou des actions de préférence peut permettre la sauvegarde des intérêts antagonistes notamment le pouvoir politique des startupeurs qui risque de se heurter au pouvoir économique des investisseurs en capital. Une solution peut donc s’entrevoir dans l’émission d’actions de préférence ou des valeurs mobilières composées. Émettre des actions préférentielles à double droit de vote au profit des porteurs de projets, et dans le même temps, des actions préférentielles à dividende majoré ou dividende prioritaire au profit des investisseurs en capital. Si la SAS peut aussi émettre des obligations, un autre choix peut être porté de manière inclusive sur les OCA (obligations convertibles en actions) au profit des investisseurs obligataires qui pourront avoir la possibilité de devenir actionnaires, chose bénéfique pour eux surtout si la Startup parvient à traverser sa zone de turbulence pour s’inscrire dans la pérennité (V. articles 853-3 ; 778-1 et suiv ; 822 et suiv).
  • La SAS peut être présidée par une personne morale. Cette solution est envisageable dans une optique de constitution d’une Holding par le haut en permettant à la société mère de maîtriser et d’optimiser la gouvernance et le management de sa fille dans ses premières heures. Il y’a également un avantage fiscal non négligeable car la rémunération de la personne morale se fait sous forme de prestations et non de salaires avec une incidence sur les charges sociales (même s’il faut reconnaître que c’est le gérant ou le directeur général de la personne morale qui assurera de manière indirecte la présidence de la SAS). L’avantage pour la Startup se perçoit donc à partir du moment où en manque de fonds propres pour financer son développement, elle se fait assister par un mastodonte qui décide également de lui apporter son expertise et son expérience dans le management et la gouvernance stratégique. Cela permettra aussi à la personne morale présidente d’avoir un vue panoramique sur les mouvements de fonds et la gestion des actifs (V. art 853-9 de l’AUSCGIE).

Cette énumération non-exhaustive nous démontre à suffisance que la SAS est une forme sociale intéressante à même de permettre la conciliation des intérêts antagonistes perçus dans les opérations de private equity. Permettre aux porteurs de projet, la mobilisation d’importants capitaux en dehors du cadre des marchés bancaire ou financiers. Elle peut aussi leur assurer la conservation du pouvoir politique (contrôle) à travers des techniques subtiles puisées dans l’ingénierie des sociétés.

On peut donc conclure que dans le contexte du Droit Ohada, la SAS apparaît comme la société la mieux compatible à la Startup pour lui permettre de mobiliser
des capitaux en dehors des cadres traditionnels qui lui sont d’ailleurs inadaptés ; Transformer la dialectique du pouvoir politique face au pouvoir économique en solution de développement. Ainsi, la SAS se fond donc facilement dans la mouvance du capital investissement et peut même aujourd’hui être adaptée à l’industrie du financement participatif ou Crowdfunding.

Boris Minlo Enguele