[TRIBUNE] PROJECT FINANCING: une technique juridique de financement des projets à capitaliser

Le project financing se révèle être une opportunité pour les pays  africains à l’instar du Cameroun en matière de financements de ses nombreux projets d’infrastructures et le développement de son tissu industriel! Le juriste d’affaires Me Siméon Wachou apporte son éclairage.

Le contexte socio-économique actuel du Cameroun est marqué par l’entrée en vigueur des projets dits de 2eme génération. Ces projets sont pour l’Etat camerounais un levier important pour la réalisation de son émergence. Seulement, la question de financement de ces projets constitue un véritable serpent de mer car, les fonds publics seuls aujourd’hui ne suffisent plus à la réalisation des infrastructures collectives ou à la réalisation des industries.

S’il existe de nombreux autres mécanismes à la fois Juridiques et économiques dédiées au financement et réalisation des infrastructures collectives , il reste qu`il existe une technique ( PROJECT FINANCING OU FINANCEMENT DE PROJET ) à la fois juridique , économique et financière dont la pertinence , l’efficacité et l’efficience ne sont plus  à  démontrer tant elle a permis  à de nombreux pays d`Europe , d’Afrique et d’Amérique de réaliser de gigantesques infrastructures à l’instar des centrales thermiques, des routes, des barrages, des industries etc…

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Le financement de  projet intervient dans un contexte doublement marqué : c’est le financement de grosses opérations industrielles  ( non de marchandises) qui s’échelonnent dans le temps (ex, exploitation de mines, le secteur de l’énergie, la métallurgie, les infrastructures en matières de télécommunications, de barrages…)  et c’est un financement privé impliquant une intervention de la puissance publique (  parfois une aide d’Etat, en toute hypothèse l’implication de l’Etat d’accueil au travers d’une convention d’établissement ou de contrats de concessions…) .

Ce qui caractérise le financement de projet est sa technique de financement qui repose sur les flux financiers que l’opération doit générer ;  autrement dit , le financement est conçu en tenant compte du cash-flow de l’opération projetée, c’est-à-dire des revenus que l’opération industrielle financée est censée dégager.

Il ne s’agit donc pas véritablement d’une notion juridique, de sorte que les qualifications usuelles des contrats et des contrats spéciaux demeurent entièrement pertinentes. Envisager le financement de projet, c’est adopter une démarche juridico-financière, en ce sens que cela renvoie à un contexte particulier et non à un contrat spécifique. On vise donc une situation qui appelle à un contrat ad hoc, donc la rationalité se situe à mi-chemin du Droit et de la Finance ; cela explique que le concept est aujourdhui  alimenté par des définitions émanant de banquiers et de plus en  plus  de juristes. Ensuite, parce que cette technique  commence à  être utilisé de manière croissante dans de nombreux projets en Afrique, le Cameroun n`étant pas par ailleurs  en reste.  Le concept de PROJECT FINANCING a évolué et se présente sous diverses variétés   mais, in fine pour le juriste, il s’agit toujours d’une opération contractuelle.

Comprendre le concept de FINANCEMENT DE PROJET ou PROJECT FINANCING

Selon les banquiers , les analyses du financement de projet par eux   enseigne  que toute la spécificité de l’opération repose sur l’utilisation du cash-flow, celui-ci étant la marge brute d’autofinancement de l’entreprise (résultat du bénéfice net augmenté des amortissements, déduction faite des provisions pour dépréciation). En effet, le financement de projet « peut être pris au sens de financement d’une unité économique individualisée… dont le service de la dette repose entièrement ou prioritairement, sur son cash flow futur et dont la garantie aux prêteurs est constituée par ses actifs assets) ou par le produit commercialisé ». De manière similaire on peut également présenter l’opération comme le « financement d’une unité économique viable sur le triple plan technique, avec une marge couvrant les aléas, le service de la dette, la couverture des risques des opérations et la juste rémunération du capital  pour les financiers.  Les financements de projet stricto sensu sont ceux dans lesquels les prêteurs prennent certains risques du projet de sorte que le banquier assume une partie du risque entrepreneurial, ce pour quoi il est d`ailleurs rémunéré.

Caractéristiques financières 

On distingue, très théoriquement, deux grandes catégories de financement de projet, ceux sans recours et ceux à recours limité. Le financement  de projet sans recours (non recourse ) est l’opération selon laquelle le remboursement de la dette (capital et intérêts) repose entièrement sur le cash-flow ; l’opération est en revanche dite  à  recours limité (limited recourse) lorsque le remboursement est assis sur le cash-flow et sur un engagement des promoteurs de l’opération ou de l’Etat d’accueil du projet.

Enfin, il faut observer que la logique de l’opération suppose la création d’une entité ad hoc, généralement appelée SPV (Special purpose vehicule) , c’est-à dire une structure dotée de la personnalité morale (société) afin que celle-ci assume la responsabilité globale de l’opération (mise en œuvre et gestion , charge de l’endettement) ; le plus souvent cette structure est constituée dans le droit du pays d’accueil, cela ajoute un autre intérêt pour les promoteurs qui peuvent ainsi mettre en place un financement hors bilan( c’est une déconsolidation fiscale)

En premier lieu, il faut relever que l’hypothèse dans laquelle le poids de la dette repose exclusivement sur l’entité ad hoc procède d’une vision idéale rarement rencontrée en pratique, l’opposition entre un investissement de projet (endettement) est surtout théorique tout simplement parce qu’il est rare que les prêteurs s’engagent sans une participation des promoteurs de l’opération au capital de la société créée pour l’opération. Si l’analyse économique y voit un mécanisme d’incitation, le bon sens suffit à comprendre que le bailleur de fond souhaite que l’emprunteur soit engagé.

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En second lieu très souvent, le montage de l’opération combine un investissement en capital et un financement par l’endettement. La part de l’une et l’autre modalité varie selon la nature du projet, selon le contexte local (pays risqué ou non..) la règle d’or est qu’il n’y a pas de règle, chaque opération nécessitant un montage singulier. Pour autant, cela n’invalide pas l’idée selon laquelle ce qui caractérise le financement de projet, financièrement est que le projet, les actifs qu’il implique (biens et contrats), son économie générale et son cash-flow sont séparés des promoteurs de l’opération de sorte que le crédit est consenti au projet lui-même, indépendamment de ses porteurs. En définitive, la logique financière du financement de projet est bien celle du financement du projet en fonction de ses perspectives de rentabilité, et non en fonction de la surface financière des porteurs du projet.

Selon le Juriste d’affaires, les définitions juridiques des opérations de financement de projet adoptent en paradigme la définition économique et financière tout en faisant porter l’accent sur la composante contractuelle multiple d’un projet. Selon d’ailleurs un auteur français en l’occurrence TROCHU, il s’agit de « contrats  successifs relatifs à des opérations complexes, de grande ampleur, dont l’exécution s’étend sur plusieurs années et implique la collaboration de nombreux partenaires » ;

L’opération étant fondée sur un endettement lourd, et dont, par voie de conséquence, l’amortissement sera long, le rôle de la durée est essentiel. Dès lors, pour le juriste d`affaires, le financement de projet constitue, avant toute chose, un « contrat successif qui par sa nature ou par la volonté des parties, ne peut s’exécuter que grâce à l’écoulement d’une certaine durée » ;  le contrat est évidemment un instrument de prévisibilité, mais même les constructions juridiques les mieux bâties subissent l’outrage du temps, ce dont il faut tenir compte dès l’origine(d’où toute une série de clauses liées à l’évolution du contexte financier, commercial ou politiques : clauses d’indexation, clauses de hardship, conséquences d’une nullité etc…).L’importance du facteur temps, allié à l’importance des projets, entraine cette autre conséquence qui est qu’un financement de projet, juridiquement, repose sur un ensemble de contrats interdépendants, aux clauses multiples et complexes, mêlant des cocontractants ayant des statuts très divers( personnes morales de droit privé ou publique, Etat).

Interrogeons-nous maintenant sur les variétés de financement de projet ( PROJECT FINANCING)

Approche « à  la française » ou «  à l’américaine », la grande variétés des formules utilisés pour les contrats de financement de projets tient à la grande variété des secteurs concernés (ensembles industriels, prospection et extraction des produits du sol, transfert et exploitation en commun de technologie, fournitures à long terme, énergie, télécoms et plus généralement, tout ce qui touche aux infrastructures).

Initialement, ce sont les français qui ont imaginé ce type d’opérations. Lors de la décolonisation, la France a quitté des pays, notamment en Afrique, dont les ressources naturelles étaient importantes et qui n’avaient pas la technologie nécessaire pour leur exploitation. La  France a alors doté ces anciennes colonies de codes d’investissement qui lui ont permis ensuite de conclure des opérations industriels au moyen de concession accordées par l’Etat qui venait d’acquérir son indépendance. C’est ainsi que les  grands projets «  à la française » prirent la forme de concession de service public et/ou d’ouvrage ; la technique de la concession permettait de prévoir, à long terme, le retour final des installations à l’autorité concédante. Ce n’était des capitaux privés aux fins de financement (la parenté avec les actuels PPP, partenariat publics-privés, est forte). Le succès de cette formule dans les années 1960-1970 incita les anglo-américains à l’adopter.

L’approche «  à  l’américaine », modifia néanmoins la structure juridique classique de la concession utilisant le contrat dit BOO  (pour build-own-operate : signifiant que l’on construit, possède, exploite puis transfert l’objet de l’opération, en général la structure sociale exploitante). Par la suite, de nombreuses variantes furent employées : le BTO( build transfer operate) le BOO(build own operate), le BOL (build own operate  & lease) , le DCMF (design, construct, manage, finance) le DBFO ( design, build,finance and operate) ou encore le ROOT (rehabilitate, own, operate, transfer).

Tendances actuelles

Parmi les difficultés que soulève le financement de projet on trouve, initialement, les problèmes de convertibilité de la monnaie dans lequel le cash-flow est anticipé : il convient donc de prévoir des formules de convertibilité et de transfert avec des contre-garanties de l’Etat hôte ou de la banque centrale concernée. Mais cette complication tend à  disparaître  en raison de réduction croissante des systèmes économique fermés (l’ouverture des marchés suppose en effet la convertibilité ou, à tout le moins, une certaine fluidité).

Il existe deux tendances actuelles. En premier lieu, on constate que les techniques de financement  du commerce international tendent progressivement à se confondre avec celle du financement de projet. En second lieu, la pratique explore et expérimenté de nouvelles sources de financement, notamment au travers d’une coopération grandissante entre les banques commerciales et marchés de capitaux, de sorte que la logique financière domine très nettement les montages juridiques.

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Un exemple de ce second aspect illustre bien l’évolution en cours : le projet java, dans la seconde moitié des années 1990 concernait le secteur de l’énergie en indonésie. Ses promoteurs ont, notamment, financé l’opération par un placement privé d’obligations auprès d’investisseurs institutionnels aux USA.  L’intérêt de cette technique était de ne pas fournir une garantie de bonne fin (beaucoup trop coûteuse en l’espèce), puisque les investisseurs, en qualité d’obligations, assumaient ainsi les risques de construction et de gestion. On a également vu apparaitre des mariages entre les techniques du financement de projet et celles du financement d’entreprise (project financing et corporate financing)  par des émissions d`obligations assisses sur l’endettement d’un portefeuille de dettes issues de plusieurs projets.

Comprendre l’approche contractuelle autour du Project Financing

Imagination contractuelle pure, le financement de projet, pour un juriste, n’est autre qu’un ensemble contractuel. Sans doute la finalité financière guide-t-elle la rédaction des clauses, mais celles-ci ne résultent ni d’un contrat nommé, ni d’un standard (national ou international). L’imagination des praticiens est entière et nécessaire ; elle suppose toute fois une réelle compétence car jusqu’à présent, le financement de projet suscitait toujours une concurrence ou des conflits entre des systèmes  juridiques distincts. La conséquence majeure en est l’extrême hétérogénéité des ensembles contractuels utilisés.

D’abord, en ce qui  concerne la loi du contrat. Cet aspect est primordial pour les investisseurs : la loi du for (lieu de réalisation du projet) va-t-elle régir seule, l’opération ou y aura-t-il un dépeçage du contrat. Certains posent la question de contrats sans loi, c’est-à-dire  sans rattachement à un système juridique étatique donné. Ce qui soulève par ailleurs la question du contenu des règles adoptées : lex Mercatoria, équité…. En outre, les doits du prêteur doivent tenir compte des modèles d’organisation des Etats, et n’est pas sans conséquence de traiter avec un Etat Fédéral ou Unitaire, un Etat Fédéré, un droit de Common Law ou de droit civil.

Ensuite, concernant les modalités de règlement des différends, on rencontre là encore une grande diversité qui n’est pas sans incidence : choisit-on l’audition de l’Etat d’accueil, des prêteurs ou une autre juridiction. Peut-on avoir recours à l’arbitrage (institutionnel ou ad hoc) ou à un mode alternatif de règlement des litiges. Il faut alors, tenir compte des techniques de financement utilisées, lesquelles peuvent imposer ou exclure telle ou telle solution.

Enfin, l’hétérogénéité des contractants a également des incidences juridiques non négligeables : il faut tenir compte de la présence d’un Etat ou d’une entité paraétatique, d’acteurs privés ou relevant d’un secteur dit d’économie mixte, et, le plus souvent de nationalités différentes.

Tout compte fait, le Cameroun comme bon nombre d`autres pays africains ont manifestement via le mécanisme Juridique et financier du PROJECT FINANCING une chance inouïe  d`accéder  à  la réalisation de leurs infrastructures collectives tout comme la mise en place d`entreprises industrielles dédiées par exemple à la transformation de leurs nombreuses et intarissables matières premières, gage in fine de l`accélération de la croissance économique.

Toutefois, il reste que des Juristes d`affaires compétents en matière de structuration des opérations d`investissement tout en recourant au cadre PROJECT FINANCING devraient s`affirmer  et se montrer disponibles à s`approprier des documents de projets pour lesquels habituellement les pays Africains à l`instar du Cameroun sont en quête permanente de financement.  Cela fera indiscutablement du Juriste d`affaires un maillon essentiel dans la chaîne qui conduit au développement économique.

Par Me Siméon WACHOU,                                                                             

Conseil Juridique d’affaires, CEO & FOUNDER WACHOU & ASSOCIATES Limited, Business Law Firm. Président de la Chambre Nationale Professionnelle des Conseils Juridiques d’affaires et d`entreprises du Cameroun.