CEMAC | MARCHE FINANCIER : Comment la COSUMAF veut intégrer les cryptomonnaies dans l’Appel Public à l’épargne

Les levées de fonds et les placements de produits financiers en Afrique Centrale ont mis le gendarme financier (La Commission de Surveillance du Marché Financier d’Afrique Centrale – COSUMAF) face aux insuffisances de la réglementation jusqu’ici en vigueur. Les cryptomonnaies ont été en partie l’une des sources de cet embarras. Avec la réforme en cours depuis novembre 2020, le régulateur envisage d’intégrer ces actifs dans le champ de l’Appel Public à l’Epargne (APE). Comprendre !

Dans l’acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique (AUSC-GIE) adopté le 30 janvier 2014 par l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires (OHADA), l’Appel public à l’épargne (APE) est constitué dans les cas suivants.

D’une part, les valeurs mobilières d’une société (Actions, Obligations, Parts d’OPCVM) sont admises à la négociation sur la bourse des valeurs d'un État partie (Dans le cas d’espèce, il s'agit de la BVMAC), à dater de l'admission de ces titres.

D’autre part, l’offre au public des valeurs mobilières (Actions, Obligations, Parts d’OPCVM) se fait :

  • soit par une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit à des personnes et présentant une information suffisante sur les conditions de l'offre et sur les valeurs mobilières à offrir, de manière à mettre une personne en mesure d'envisager d'acheter ou de souscrire ces valeurs ;
  • soit par un placement de valeurs mobilières par des intermédiaires financiers dans le cadre soit d'une émission soit d'une cession.

On remarquera que le législateur OHADA ne fait allusion qu’aux valeurs mobilières. Aux termes de l’article 744 de l’AUSC-GIE, il ressort que les valeurs mobilières comprennent les titres de capital et les titres de créance autres que les titres du marché monétaire. De plus, le législateur admet comme titres financiers ( catégorie plus large intégrant valeurs mobilières et instruments financiers), les contrats financiers, également dénommés  "instruments financiers à terme".


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Au niveau de la réglementation du marché financier de la CEMAC, le Règlement général de la COSUMAF (en vigueur en attendant la réforme) se limite lui aussi aux valeurs mobilières comme repère dans l’application des règles d’APE.

Par voie de conséquence, les offres publiques n’incluant pas les valeurs mobilières ne ressortissent pas du pouvoir de la COSUMAF. Ainsi, par exemple, toute levée de fonds auprès du public n’incluant pas un placement de valeurs mobilières mais des prêts d’argent, doit être du ressort de la Commission Bancaire (COBAC). Car, en effet, cette dernière régule les opérations de collecte de fonds en vue d’octroi de crédit, et cela en vertu de la protection du monopole bancaire.

Un cadre juridique qui n’est plus adapté

Cette limitation du champ de l’Appel Public à l’Epargne « dépassée par l’évolution des techniques de financement » a notamment été mise en lumière par l’irruption de divers placements en cryptoactifs en zone CEMAC.

En effet, on se souvient ainsi que la COSUMAF a officiellement interdit toute transaction sur les cryptoactifs le 23 octobre 2020. Une décision qui est intervenue dix jours après qu’elle a validé le projet de mise en place d’une réglementation desdits cryptoactifs le 13 octobre 2020.

Mais encore, avant cela, dès le mois de septembre 2020, elle avait déjà envisagée de structurer un cadre juridique pour les activités liées aux cryptoactifs, adoubant ainsi l’initiative prise par Global Investment Trading (GIT), un intermédiaire en financements innovants.


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De plus, au Cameroun, on se rappelle également que la fin d’année 2020 a été émaillée de remous liés à des placements financiers effectués par des investisseurs sur des produits financiers à très haut rendement parmi lesquels des cryptoactifs. La COSUMAF avait tôt fait de bannir « des produits portés par des entités n’ayant reçu aucun agrément financier de sa part COSUMAF ». Le souvenir revient notamment sur les affaires Mekit-Invest, Africa’Lif et autres.

En tout état de cause, il est a été clairement établi que les cryptoactifs ne rentrent pas dans la catégorie juridique de « valeurs mobilières » au sens du droit OHADA et du droit financier.  C’est-à-dire : « [des titres qui] confèrent des droits identiques par catégorie et donnent accès directement ou indirectement à une quotité du capital de la société émettrice, ou à un droit de créance général sur son patrimoine. [Ceux-ci] étant indivisibles à l'égard de la société émettrice ».

Vers un nouvel Appel Public à l’épargne

Consciente de cette insuffisance du droit financier en Afrique Centrale, la COSUMAF envisage désormais sa compétence sur la base d’un spectre élargi pour l’Appel Public à l’épargne. En effet, dans le projet de Règlement Ministériel de l’UMAC, l’Article U-OMF 2–1 précise ce qui suit ;

L’appel public à l’épargne est une communication adressée sous quelque forme et par quelque moyen que ce  soit  à  des  personnes  et  présentant  une  information  suffisante  sur  les  conditions  de  l’offre  et  sur  les instruments financiers à offrir, de manière à mettre un investisseur en mesure de décider d’acheter ou souscrire ces instruments.

Cette définition s’applique également au placement :

  • d’instruments financiers,  en  dehors  des  opérations  de  placement  privé,  par  des intermédiaires  de marché;
  • de jetons présentant des caractéristiques similaires aux instruments financiers.

Dans la foulée, il est précisé qu’un jeton renvoie à tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être  émis,  inscrits,  conservés  ou  transférer  au  moyen  d’un  dispositif  d’enregistrement  électronique  partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement le propriétaire dudit bien.


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Pour ratisser plus large, le législateur ajoute qu’un émetteur offrant au public des jetons autres (c’est-à-dire ne présentant pas des caractéristiques similaires aux instruments financiers) peut (possibilité pas obligation) solliciter une autorisation de la COSUMAF dans certaines conditions.

En fait, en attendant la définition juridique des cryptoactifs venant de la COSUMAF, les jetons dont il est question dans ce projet de texte incluent, à l’analyse, les cryptoactifs et donc les cryptomonnaies. 

En dernière analyse, en dépassant le cadre des valeurs mobilières et en intégrant les instruments financiers et les jetons représentatifs des actifs numériques, il est clair que la COSUMAF veut se donner davantage de moyens d’agir dans le cadre de la protection de l’épargne publique.

Dr. Willy ZOGO