CAMEROUN: Les « Matinées ERSUMA » éclairent l’impact de l’OHADA sur les investissements

Cette conférence scientifique sur le climat des affaires au Cameroun a été organisée le 19 juillet 2019 à l’Université de Yaoundé II (Cameroun). Animée par le Directeur général de l’Ersuma, Pr Mayata Ndiaye et le Pr Robert Nemedeu, sous la modération du Pr Alain Kenmogne Simo, la rencontre a mis en avant le bilan et les perspectives de l’influence du droit harmonisé pour les affaires au Cameroun. 

« L’OHADA et l’amélioration des investissements au Cameroun », tel est précisément le thème qui a servi de fil conducteur à la deuxième édition des « matinées Ersuma » portée par l’Ecole Régionale Supérieure de Magistrature (Ersuma), cet organe de formation de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit Affaires (OHADA).

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Durant trois heures de temps, les échanges se sont axés sur deux points essentiels et repartis entre le Pr Mayata, Directeur de l’Ecole et le Pr Nemedeu séparés par le Pr Kenmogne. En effet, le premier point développé par le Pr Mayata portait sur l’apport de l’OHADA au climat des affaires et l’évaluation faite selon les critères de la Banque mondiale, notamment le Rapport Doing Business de 2017. 

Les participants / (c) Droit Médias Finance

Le second point quant à lui consistait pour le Pr Nemedeu à explorer les avancées faites au Cameroun dans l’application des règles de droit OHADA tout en soulignant limites et opportunités.  

Ce que l’OHADA fait pour le Climat des affaires (exposé du DG de l’Ersuma)

D’entrée de jeu, pour expliquer l’intérêt de l’évaluation de l’impact du Droit OHADA, le Pr Mayata Ndiaye a tenu à préciser que « la valeur de la règle de droit dépend beaucoup plus de sa capacité à atteindre les objectifs qui lui sont assignés. » Par ailleurs, il ne suffit dès lors pas juste que la règle soit bien écrite. Pour le Directeur, l’objectif central de l’OHADA par-dessus toute chose est le « développement économique » des Etats-parties du Traité de Saint-Louis (Traité fondateur de l’OHADA de 1993 modifié en 2008). Ainsi, selon le Pr Mayata, chaque uniforme poursuit cet objectif pareillement que les objectifs de sécurité juridique et judiciaire et promotion de l’arbitrage ne sont que des objectifs spécifiques concourant à la réalisation de l’objectif central. Pour évaluer l’impact de l’OHADA sur une économie, l’intervenant a emprunté 5 indicateurs de la Banque Mondiale de 2017 à savoir : la création des entreprises, l’obtention des prêts, la protection des investisseurs minoritaires, l’exécution des contrats et le règlement de l’insolvabilité.

Sur la création des entreprises, le Cameroun en 2017 est 149è/190 loin de la Côte d’Ivoire, 1er de l’espace OHADA. « Ce que l’OHADA a fait pour cela c’est l’augmentation de la nomenclature des sociétés commerciales » a expliqué le Directeur général. A côté de Société coopérative qui a été retenue, en 2014 il a été introduit la SAS ou Société par Actions Simplifiées. L’OHADA a permis de facilement créer les startups avec un capital social de SARL non contraignant (Article 74 de l’Acte Uniforme relatif aux Sociétés commerciales et au Groupement d’Intérêt économique AUSGIE). L’intervention du notaire dans la création des sociétés est devenue une disposition supplétive donc flexible. Mais, selon l’intervenant si l’OHADA a bien fait cet effort, les Etats ont préféré se limiter à la SARL. Toutefois, il a reconnu que la liberté ne doit pas prendre le dessus sur la sécurité juridique.

Sur l’obtention des prêts, le Cameroun est 133ème contre le premier qui est 118ème. L’OHADA a misé sur la confiance dans le crédit avec l’Acte uniforme sur les Sûretés. Cela s’est fait en améliorant les anciennes sûretés. Cela s’est fait aussi par la création de nouvelles sûretés : le pacte commissoire a été introduit jusqu’au cœur des procédures collectives pour faciliter et sécuriser le recouvrement des créances y compris bancaire.

Sur la protection des investisseurs minoritaires, le Cameroun est 147ème sur 190. L’OHADA a réglé le problème de contrôle de gestion en facilitant la possibilité pour les minoritaires d’obtenir la désignation d’un expert pour contrôler certains actes de l’entreprise aux frais de cette entreprise. Avant 2014, il était exigé 1/5 ème du capital social pour demander l’expertise contre 1/10 ème aujourd’hui. L’OHADA a également revu les conventions réglementées entre les actionnaires majoritaires et l’entreprise.

Sur l’exécution des contrats, « il s’agit essentiellement de l’exécution forcée, de l’appréciation du niveau de respect des transactions » explique sur ce point, le Pr Mayata. Selon le Sénégalais, dans la jurisprudence de la CCJA (Cour commune de Justice et d’Arbitrage) plus 79% concernent les procédures de recouvrement forcé. Toutefois, il conseille de se demander est-ce que les débiteurs insolvables ne peuvent pas ou ne veulent pas payer. Sur ce point, l’OHADA fait de la révision de l’Acte uniforme consacré au recouvrement, une priorité dès 2019.

Sur le règlement de l’insolvabilité, selon le Professeur, ce point concerne l’Acte uniforme relatif aux procédures collectives. Comme il avait constaté que certains syndics s’enrichissaient au détriment des créances des entreprises en difficultés, l’OHADA a institué de nouvelles procédures (conciliation) et un nouveau statut (mandataire judiciaire) ainsi que ses organes de contrôle. Toutefois, l’intervenant  a regretter que l’OHADA n’ait pas trancher avec le pluralisme des droits applicables aux situations de procédures collectives pendant avant l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme consacré.

Que fait le Cameroun pour profiter et faciliter l’efficacité du droit OHADA ?

Pour répondre à cette interrogation, le Pr Robert Nemedeu qui en avait la charge a tenu à rappeler d’entrée de jeu que « le droit OHADA est un droit qui s’appuie sur la collaboration des Etats-parties » dont le Cameroun. Selon l’intervenant, le modèle de collaboration entre le Cameroun et l’OHADA repose sur la technique de renvoi exprès dans les textes.

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Pour son analyse, le Professeur s’appuie également sur les indicateurs du Doing Business de la Banque mondiale même s’il ne manque pas de souligner que ces indicateurs ne sont pas sans limites. D’ailleurs, l’universitaire note que « on aurait bien voulu avoir nous-mêmes nos propres indicateurs, mais on en a pas ». L’intervenant précise que le Chef de l’Etat camerounais a bien pris en compte depuis des années la nécessité d’améliorer la sécurité juridique et l’environnement des affaires dans le pays. En ce sens, il évoque les grands chantiers d’assainissement à l’instar de la Charte des investissements, la création d’un ministère des PME, la mise en place du Cameroon Business Forum, entre autres. Mais pour être concret, le Pr Nemedeu a déroulé son analyse selon les indicateurs de la Banque mondiale.

Sur la création des entreprises, si l’OHADA attend les incitations de la part du Cameroun, on peut voir la lutte contre l’informel et l’introduction du statut de l’entreprenant. En ce sens, le législateur camerounais a pris une loi sur l’activité commerciale au Cameroun. L’agrégé de droit note que comme réponse à l’OHADA le Cameroun a créé le Centre de création des entreprises notamment en 72h. Le Cameroun a pris la Loi de 2010 portant promotion de l’entreprise même si la notion d’entreprise résiste souvent à l’analyse juridique. Il a été appelé à la création d’incubateur auprès d’universités à l’image des pays anglo-saxons.

Sur l’obtention des prêts, le Cameroun a créé la Banque des PMEs et mis en place des incitations fiscales notamment en exonérant les nouvelles entreprises durant 2 années. L’intervenant a noté que le législateur camerounais a abaissé le capital social minimum exigé pour la création d’une SARL à 100.000 FCFA. « Si la Côte d’ivoire ou le Bénin l’ont aussi fait comme une potion magique, moi je reste dubitatif, car, est-ce que le législateur en tire toutes les conséquences sur les droits des associés ? » a souligné le Pr Nemedeu.

Sur l’indicateur de protection des minoritaires, l’enseignant en a questionné le sens et indiqué qu’il serait difficile mais important que « la raison d’être » de l’entreprise soit inscrite dans les textes pour mieux guider les positions des actionnaires qui s’y engagent.

Sur l’exécution des contrats, l’intervenant note qu’il s’agit de questionner un aspect du droit procédural, qui n’est pas du plein ressort de l’OHADA. Le temps, le coût de résolution et la qualité des procédures sont notamment les bases de l’appréciation sur ce point. Selon la Banque mondiale, un contrat prend 800 jours pour être exécuté et ceci à hauteur de 46 % de la valeur de la créance, toute chose qui reste excessive. Les efforts recommandés au Cameroun tiennent à l’accélération de la reddition et de la mise à disposition des décisions de justice.

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Le Professeur a regretté que malgré les lenteurs judiciaires, l’exécution des décisions de justice reste compliquée. De fait, il a appelé à une grande réforme sur l’efficacité de la justice et à court terme, de « mieux vendre le pacte commissoire ». Le Cameroon Business Forum a fait des propositions au gouvernement sur ce point d’où la création des chambres commerciales avec magistrats spécialisés dans les tribunaux d’instance. De même, l’on a proposé la création d’une Chambre de conciliation et d’arbitrage auprès de la chambre de commerce. Dans le même sens, la Cour d’Appel du Littoral a mis sur pied un site internet de diffusion des décisions de justice en la matière. Mais, il est encore attendu notamment la finalisation du Code civil.

Sur le règlement de l’insolvabilité, il revenait au Cameroun de désigner le juge du contentieux de l’exécution de l’article 49 de l’Acte uniforme relatif aux voies d’exécution. « Le Cameroun a répondu par une loi de 2007 que j’ai vertement critiquée, car cela elle ne répondait pas aux attentes de l’OHADA. En réalité, le contentieux de l’exécution est un contentieux autonome » a expliqué le Pr Nemedeu. Par ailleurs, la Cour Suprême a finalement accepté de cesser de prendre des décisions dans le domaine de l’OHADA et en outre, le Cameroun a désigné l’autorité en charge de l’apposition de la formule exécutoire pour les arrêts de la CCJA à savoir le Greffier en chef de la Cour Suprême.

Sur ce point, le modérateur, le Pr Kenmogne Alain a, comme sur plein d’autres points a tenu à faire des remarques. Le public présent a également posé de nombreuses questions auxquelles les intervenants ont apporté autant de réponses.

Willy Stéphane ZOGO