DROIT DES TRANSPORTS | CAMEROUN : La plate-forme numérique de transport YANGO frappée de suspension


Par Willy ZOGO


Le ministre des transports de la République du Cameroun vient de prendre la décision portant suspension des activités de la plateforme numérique YANGO spécialisée dans le transport urbain. Le motif est pris de ce que la loi de 2001 et son décret de 2022 ont été foulés au pied par l'opérateur, pionnier de l'uberisation du transport dans le pays. Comprendre !

La décision ministérielle publiée sous forme de communiqué-radio datant du 08 février 2023 est claire que : " à l'issue d'une mise en demeure adressée aux opérateurs de plateforme numérique YANGO et des réunions d'évaluation tenues au Ministère des Transports, les activités de transport public de personnes opérées via la plateforme numérique YANGO sont suspendues jusqu'à leur mise aux normes, conformément aux dispositions de la Loi n° 2001/015 du 23 juillet 2001 régissant les professions de transporteur routier et auxiliaire des transports routiers."

LA CAUSE PROBABLE DE LA SUSPENSION

En rappel, la Loi n° 2001/015 du 23 juillet 2001 régissant les professions de transporteur routier et auxiliaire des transports routiers a défini le transporteur routier sous la nature de toute personne physique ou morale qui effectue le transport routier de personnes ou de marchandises à but lucratif, avec un ou plusieurs véhicules dont elle est propriétaire ou locataire.

Tout le problème semble lié à la définition légale du transporteur routier qui doit faire la prestation " avec un ou plusieurs véhicules dont elle est propriétaire ou locataire." YANGO serait donc en illégalité à partir du moment où dans son modèle d'affaires, les tiers travaillant sous son label ne sont pas toujours des professionnels de transports routier. De plus, leurs véhicules n'appartiennent pas à YANGO et eux mêmes ne sont pas salariés et donc sous la responsabilité de YANGO qui est seule à avoir obtenu l'autorisation ministérielle. 

En France, le problème a été adressé devant les juridictions, notamment dans l'affaire tranchée le 4 mars 2020 par la Cour de cassation à la faveur du Pourvoi n° 19-13.316. En fait, la Cour de cassation a décidé de requalifier en contrat de travail la relation contractuelle entre la société Uber et un chauffeur. En effet, lors de la connexion à la plateforme numérique Uber, il existe un lien de subordination entre le chauffeur et la société. Dès lors, le chauffeur ne réalise pas sa prestation en qualité de travailleur indépendant mais en qualité de salarié.

En effet, le juge français retenait que "le chauffeur qui a recours à l’application Uber ne se constitue pas sa propre clientèle, ne fixe pas librement ses tarifs et ne détermine pas les conditions d’exécution de sa prestation de transport. L’itinéraire lui est imposé par la société et, s’il ne le suit pas, des corrections tarifaires sont appliquées. La destination n’est pas connue du chauffeur, révélant ainsi qu’il ne peut choisir librement la course qui lui convient".

LES CONDITIONS D'EXERCICE DE TAXI SUR PLATEFORME NUMERIQUE

Si la Loi de 2001 n'a pas nécessairement anticipé l'ubérisation du transport au Cameroun, le législateur a pu se rattraper par le Décret N°  2022/8801/PM du 10 octobre 2022 fixant les conditions d'accès aux professions de transporteur routier et d'auxiliaire des transports routiers.

Ce texte pris dans une optique de modernisation, a conséquemment abrogé toutes dispositions antérieures contraires. Parmi elles, celles du Décret n° 2004/0607/PM du 17 mars 2004 fixant les conditions d'accès aux professions de transporteur routier et d'auxiliaire de transports routiers et ses modificatifs subséquents.

Dans le Décret de 2022, il ressort que toute plateforme numérique, comme YANGO ; devait se plier à plusieurs exigences légales. Il s'agit ainsi de : 

  • de l'obtention d'une licence spéciale de transport routier de 5 ans de validité, notamment celle de catégorie S10 dédiée au service de transport par taxi de personnes opéré via les plateformes numériques. (Art. 5 du Décret). L'activité de taxi étant comprise au Cameroun comme une activité de transport public des personnes et de leurs bagages par des véhicules motorisés (motocycles, tricycles, autobus et autocars) ou nonmotorisés, munis d'un compteur horokilométrique ou non.
  • de l'obtention d'une autorisation du Ministre chargé des transports valable sur 1 an (Article 11 du Décret).
  • du versement de la somme de 215.000 FCFA au titre de redevances d'autorisation et de licence ministérielles. 

Mais, à côté, le législateur a encadré l'auxiliaire des transports routiers. Celui-ci renvoie à toute personne physique ou morale qui exerce une activité annexe et/ou connexe concourant à la réalisation des opérations de transports routiers ;

il s’agit notamment de la gestion des terminaux des transports routiers, de la gestion des opérations de chargement et de déchargement dans les terminaux des transports routiers, des déménagements et messageries de petits colis et des opérations de groupage et de dégroupage des marchandises. 

Dans l'espèce de YANGO, l'activité qui a déjà pris de l'ampleur au Cameroun, consiste en un service de transport par taxi de personnes par voie de route à partir d'une application reliée à une plateforme. Yango se définit comme " un service intermédiaire à la faveur duquel le service de transport sont fournis par des tiers ".

 

LA REPONSE DE YANGO 

Yango a pris connaissance du communiqué de presse émis par le Ministère des Transports du 06 février 2023 demandant aux transporteurs camerounais de suspendre l’utilisation des plateformes numériques.

Nous attirons l’attention sur le fait que Yango est une plateforme numérique internationale fonctionnant via une application mobile et, donc, n’est pas un opérateur de transport. Yango sert les entreprises de transport et leurs clients dans plus de 20 pays et participe activement à la transformation numérique de l’économie en apportant des innovations génératrices de revenus et en créant de nouveaux emplois.

Yango s’aligne sur la vision du Gouvernement du Cameroun incarnée par le Chef de l’Etat Paul BIYA dans son discours du 31 décembre 2015: « Il nous faut rattraper au plus vite notre retard dans le développement de l’économie numérique ». Portés par les propos encourageants du Président de la République, nous avons pris la décision d’investir au Cameroun et de lancer la plateforme numérique internationale Yango en novembre 2021. Notre investissement a permis aux entreprises de transport locales d’atteindre une croissance moyenne du chiffre d’affaires de 35% en assurant une meilleure sécurité et un meilleur confort aux passagers.

Vu ce qui précède, nous avons été surpris par la décision du Ministère des Transports qui, selon nous, est le résultat d’un malentendu sur le modèle économique de Yango. Pourtant, on a invité tous nos transporteurs locaux partenaires à se conformer à la nouvelle réglementation en vigueur. Nous soulignons qu’actuellement les activités ne sont pas suspendues au Cameroun. Yango s’est déjà mis à la disposition du Ministère de transport pour obtenir des éclaircissements sur les mesures concrètes que nos partenaires, les opérateurs de transport locaux, doivent suivre pour  s’aligner avec le décret 8801 du 10 octobre, car, à notre connaissance, aucun arrêté expliquant ces mesures n’a été publié bien que cela soit stipulé dans le communiqué de presse du ministère.

Yango est engagé auprès des camerounais, est responsable et conforme à toutes les réglementations appliquées aux plateformes numériques internationales. Nous nous engageons également à soutenir nos partenaires au Cameroun et à trouver avec eux une solution qui pourrait satisfaire toutes les parties concernées. Nous poursuivons notre engagement auprès des autorités camerounaises compétentes afin de dissiper tout malentendu./.

Globalement, Yango est un service de covoiturage, de livraison et d'épicerie en ligne opérant en Europe, en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud et disponible via une application mobile. Il est exploité par la société basée aux Pays-Bas dans la plupart des pays ou par des sociétés locales dans certains d'entre eux.