DROIT DES FINTECH | ORANGE MONEY SA : Ces bases juridiques favorables pour la « portabilité » des comptes de mobile money entre opérateurs


Par Dr Willy ZOGO |


Orange Money SA, filiale spécialisée en Fintech de la multinationale Orange, a lancé à partir du Cameroun le 26 février 2023, un service de « portabilité » des comptes de paiement de ses clients. Celui-ci leur permet d'accéder à leur portefeuille de monnaie électronique à partir d'une puce fournie par les opérateurs de téléphonie mobile autres qu’Orange Télécoms et cela que ceux-ci proposent ou non en parallèle la prestation des services de monnaie électronique. 

« Orange Money Cameroun S.A. informe le public, que …, peu importe que votre puce téléphonique soit jaune, bleue ou rouge, il vous est désormais possible d’ouvrir un compte Orange Money et accéder à l’univers des services d’Orange Money sans changer de numéro….A ceux qui souhaitent rejoindre l’écosystème Orange Money, 3 étapes sont nécessaires : télécharger l’Appli Orange Money Afrique sur les plateformes sécurisées App Store ou Play Store ; créer son compte Orange Money muni de sa pièce d’identité et personnaliser son mot de passe (0000 par défaut) qui devra rester strictement confidentiel. Cette innovation d’importance, s’adresse à la fois aux personnes physiques et aux personnes morales ayant besoin de flexibilité pour la gestion de leur masse salariale. Tous les services Orange Money restent accessibles dans les canaux habituels ». Tels sont les termes du communiqué de presse officiel par lequel Orange Money S.A a rendu public son dernier service proposé en matière de Fintech.

QUELLES BASES JURIDIQUES ? 

Depuis 2018 (année d'adoption par du Règlement du 21 décembre 2018 relatif aux services de paiement dans la CEMAC), Orange se démarque dans l'application des normes juridiques régissant les Fintechs. En effet, par la création de sa filiale, Orange Money SA, cette société a été la première (au Cameroun) en obtenant son agrément du Ministère des Finances du Cameroun à se mettre en conformité avec l'exigence de création de prestataires spécialisés appelés PSP ou Prestataire de Services de Paiement. 

Cette fois encore, Orange Money SA, à partir du Cameroun, recours aux possibilités offertes par le droit des Fintechs de la CEMAC pour mettre sur pied un service de portabilité des comptes de monnaie électronique et donc de paiement (La nuance textuelle entre compte de monnaie électronique ou "portemonnaie" électronique et compte de paiement est établie par le législateur de 2018) vers d'autres opérateurs de téléphonie mobile concurrents ou non sur le segment de la monnaie électronique. 

La question est la suivante : Pourquoi ses concurrents (notamment MTN Mobile Money au Cameroun – Nextel et Camtel n’ayant pas ou pas encore des services de monnaie électronique) ne peuvent tout simplement pas refuser ou bloquer un tel service ?

Certains éléments de réponse peuvent être tirés de l'obligation légale faite par la banque centrale. En effet, comme cela a été reconnu dans le Règlement de décembre 2018, c'est par la BEAC que cette exigence est consacrée et encadrée.

PORTABILITE ET INTEROPERABILITE

Concrètement, l'Instruction n°001/GR/ 2018 relative à la définition de l'étendue de l'interopérabilité et de l'interbancarité des systèmes de paiement monétique dans la CEMAC. Ce texte définit l'interopérabilité (à ne pas confondre avec l'interbancarité) comme la propriété des règles d'échange de deux réseaux à être compatibles entre eux de façon à échanger des données ou des opérations l'un de l'autre. 

Dans la pratique, cette interopérabilité est assurée par le Groupement GIMACPAY (seule autorisée par la BEAC) qui prend donc aussi en compte les OMM ou opérateurs de monnaie électronique comme membres. C’est à ce titre que Orange Money, MTN mobile Money et Airtel Gabon sont reconnus et effectuent des opérations compatibles. Au Cameroun, l’interopérabilité entre Orange Money et MTN Mobile Money est effective depuis lors.

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Rappelons qu'en vertu des règles de sanction de la BEAC, les Opérateurs adhérents au GIMACPAY qui se refuser de faciliter les transactions des concurrents peuvent être frappés entre autres d’exclusion ou d’amendes.

A côté de l'interopérabilité monétique encadrée par la BEAC, l’on a également la base juridique de la portabilité. En effet, cette dernière s’entend de la capacité à garder le même numéro de téléphone tout en changeant d'opérateur téléphonique. Elle peut en principe affecter les numéros de téléphone au Cameroun grâce au Groupement d’intérêt économique pour la gestion de la portabilité mobile au Cameroun (GIE-PMC) qui a officiellement lancé ses activités le 31 janvier 2016. Naturellement, ces opérations sont placées sous la surveillance de l'Agence de regulation des Télécommunications du Cameroun au regard du DECRET N° 2012/1641/PM du 14 juin 2012 fixant les conditions de portabilité des numéros des abonnes des opérateurs des réseaux de communications électroniques ouverts au public.

Cette portabilité-là est liée aux simples numéros et non aux portemonnaies et comptes électroniques. Elle s'appuie alors sur un cadre juridique contractuel commun dans lequel les différents opérateurs de téléphonie mobile - MTN Cameroun, Orange Cameroun et Nexttel Cameroun se sont engagés à travailler pour faciliter la migration des numéros d’abonnés insatisfaits entre opérateurs et coordonner les échanges techniques entre sociétés télécoms.

Cette interaction ne peut influer négativement sur les comptes de monnaie électronique. Par ailleurs, si elle peut impacte favorablement sur les comptes de monnaie électronique, cela n’est possible que sur la base réglementaire fixée par la BEAC. 

DE LA PUCE ELECTRONIQUE A L’APPLICATION NUMERIQUE ?

En dernière analyse, la possibilité pour Orange Money de détacher le compte de monnaie électronique de la puce d’Orange Télecoms témoigne au minimum de deux choses. D’une part, la filialisation des Fintechs des opérateurs de Télecoms dégage une autonomie entre la puce électronique et le service numérique de monnaie électronique.

D’autre part, et un peu de manière conséquente, la puce (support électronique) n’est plus pour l’opérateur de mobile money le seul support de stockage (figé) au sens de l’article 86 du Règlement de 2018 consacrant la réécriture de l’article 193 du Règlement n° 03/16/CEMAC/UMAC/CM du 21 décembre 2016 relatif aux systèmes, moyens et incidents de paiements.

Selon ce texte, la monnaie électronique est une valeur monétaire stockée sous une forme électronique, y compris informatique ou numérique, représentant une créance sur l’émetteur, qui est émise à la valeur nominale contre remise de fonds, aux fins d'opérations de paiement et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que son émetteur, sans faire intervenir de compte bancaire dans la transaction.