TRIBUNE : Libres propos sur la dématérialisation des titres financiers sur le marché financier de la CEMAC

Note sur l’article 2 du Règlement n°01/14 portant institution d’un régime d’inscription en compte par Dr. Hyacinthe MBENTI ESSIANE, Juriste financier, Consultant Middle chez Droit Médias Finance (DMF).

Si l’époque des supports écrits ou physiques est sur le pas de fin, pour faire place à l’âge de l’électronique, il importe de s’interroger  sur le sens des changements intervenus dans le marché financier CEMAC au cours du XXIe siècle. L’idée de la dématérialisation des valeurs mobilières qui a pour corollaire l’inscription en compte y apparaît comme un principe discriminatoire desdites valeurs en matière d’appel public à l’épargne. Loin d’être une innovation parfaite, la généralisation de l’inscription en compte à l’ensemble des valeurs mobilières et autres instruments financiers reste partielle.

Notons que le vocabulaire juridique définit la dématérialisation comme l’assujettissement des valeurs mobilières à une inscription en compte auprès de la société émettrice ou d’un intermédiaire habilité, d’où il résulte que les titres inscrits ne peuvent se transmettre que par virement de compte à compte. Il en ressort clairement que la conséquence directe de la dématérialisation sur les valeurs mobilières réside sur leur nouveau mode transmission : le virement de compte à compte. Ce qui exclut donc le transfert par tradition, c’est-à-dire remise matérielle des titres. 

Toutefois, à la lecture de l’article 2 du Règlement n°01/14/CEMAC-UMAC-CM portant institution d’un régime d’inscription en compte des valeurs mobilières et autres instruments financiers dans la CEMAC, l’on s’aperçoit qu’il existe d’une part un régime général de l’inscription en compte , obligatoire applicable aux valeurs mobilières et autres instruments financiers ou titres assimilés émis dans le cadre d’un appel public à l’épargne; d’autre part, que ce régime ne s’applique pas aux valeurs mobilières et autres instruments financiers non émis dans le cadre d’un appel public à l’épargne. Ainsi, il existe une nette distinction entre les valeurs cotées et non cotées ; à cet effet, un double régime juridique applicable aux valeurs mobilières et autres instruments financiers dans l’espace CEMAC.

CONFUSION ET INSECURITE JURIDIQUE

Rappelons que l’appel public à l’épargne est un mode de financement de l’entreprise permettant de drainer des capitaux indispensables à la création et à l’essor des sociétés d’une certaine taille.  En effet, l’alinéa premier de ce texte dispose que : « conformément aux dispositions du Règlement n°06/03-CEMAC-UMAC du 12 novembre 2003 portant Organisation, Fonctionnement et Surveillance du Marché Financier de l’Afrique Centrale, il est institué un régime général de l’inscription en compte, obligatoire, pour les valeurs mobilières et autres instruments financiers ou titres assimilés émis dans le cadre d’un appel public à l’épargne, visés à l’article 3 ci-dessous ».

Tandis que, l’alinéa deuxième par contre, exclut de ce régime général de l’inscription en compte obligatoire, les valeurs mobilières et autres instruments financiers non émis dans le cadre d’un appel public à l’épargne.  De la lecture de ce texte, il en ressort que seuls les valeurs mobilières et autres instruments financiers cotées sont représentés par une inscription en compte. En clair, cela signifie qu’il existe non seulement une différence de nature, mais aussi de régime applicable aux valeurs mobilières selon qu’elles sont cotées ou non.

Il faut le souligner, seules les sociétés cotées peuvent faire appel public à l’épargne, ce qui exclut du régime de l’appel public à l’épargne celles qui ne le sont pas.

Pourtant, le législateur camerounais, à travers la loi n°2014/007 du 23 avril 2014 fixant les  modalités de dématérialisation des valeurs mobilières au Cameroun, a généralisé la dématérialisation à l’ensemble des valeurs mobilières cotées ou non. Ainsi, on peut lire à l’article 1er  (3) que « la présente loi s’applique à toutes les valeurs mobilières cotées ou non cotées, émises par les entités publiques ou privées, ayant cours en République du Cameroun ou soumises à sa législation. ». Il s’agit là d’un principe général de dématérialisation applicable à toutes les valeurs mobilières, peu importe si elles sont admises en bourse ou non. Ce qui exclut donc une disparité législative comme c’est le cas dans la CEMAC.

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Notre souhait serait de voir le législateur CEMAC généraliser le régime d’inscription en compte à l’ensemble des valeurs mobilières et autres instruments financiers, afin d’éviter non seulement toute disparité législative au sein des valeurs mobilières, mais aussi toute situation d’insécurité juridique. Par ailleurs, en admettant cette situation, cela signifie qu’on reconnait une différence de nature entre les valeurs mobilières et donc de régimes juridiques applicables.  Certes, les valeurs mobilières ont une double nature : ce sont des biens d’une part, et d’autre part ce sont des instruments de financement. Mais, en tant que bien, les valeurs mobilières sont des biens meubles incorporels et non l’inverse.

Ce faisant, nous arrivons à la conclusion suivante, la dématérialisation des valeurs mobilières est inachevée dans l’espace CEMAC et cela remet en question la nature réelle des valeurs mobilières : celle d’être des biens meubles incorporels. Alors, soit on dématérialise, soit on ne dématérialise pas, voilà une façon d’interpeller le législateur CEMAC. 

Dr HYACINTHE MBENTI ESSIANE